13.5.07

L'amant de Lady Chatterley, de DH Lawrence

Après avoir (enfin) vu le film éblouissant de Pascale Ferran, j'ai évidemment eu envie de relire le livre, qui trainait dans ma bibliothèque, et que j'avais du lire il y a fort longtemps, en un temps sans doute où je n'avais pas forcément la maturité nécessaire pour en saisir toutes les subtilités... Il en va ainsi de ces livres qui sondent l'âme et le comportement humain en profondeur : il faut avoir vécu pour les écrire, mais aussi pour en saisir toute la portée. Ils ont valeur éducative certes, mais restent bien souvent incompris de ceux qui n'ont pas ne serait-ce qu'effleuré l'expérience qu'ils cherchent à transmettre. Il est des choses qu'il faut avoir vécu dans sa chair, et c'est ici bien le terme qui convient, des émotions qu'il faut avoir éprouvées, fut-ce une seule fois, pour pouvoir les reconnaître dans une oeuvre artistique, et suivre l'auteur dans sa démonstration...

Même si je n'ai pas la bonne version de l'ouvrage (j'ai la troisième édition, et non la seconde sur laquelle s'est appuyée Pascale Ferran pour préparer son film), je confirme que le film respecte l'esprit de l'écrivain, et transcrit parfaitement son propos. Elle le concentre sur la relation entre Constance et le garde-chasse, et l'épure en grande partie du propos social, ce qui a mon sens permet de mieux saisir l'essentiel de ce que veut nous dire Lawrence, et permet de conserver l'universalité et l'intemporalité du propos.

Cependant, l'analyse sociale, outre le scandale du "mélange des classes", n'est pas sans intérêt. Je reste assez frappée, globalement, par la modernité et la lucidité des auteurs du début du XXième siècle (on la retrouve chez Edith Wharton, Henry James, Conrad) sur l'évolution de la société et des rapports entre les humains. Lawrence stigmatise le rapport à l'argent, l'acquérir, mais surtout le dépenser, devenant le but de l'existence : on dépense pour se sentir vivre, mais en réalité, dépenser et rechercher l'argent empêche de vivre les vrais rapports humains. Je me demande si ce n'a pas été plus ou moins vrai à toutes les époques (je ne crois pas à un "âge d'or" en la matière), mais c'est assurément exacerbé à la nôtre, et il est étonnant de constater que c'était déjà si visible il y a presque un siècle. Lawrence propose d'en sortir, au moins individuellement si ce n'est collectivement, par une relation vraie entre un homme et une femme. Je continue de prétendre que c'est la dernière vraie aventure humaine à la portée de chacun, et c'est au coeur du propos de Lawrence. Et j'adhère entièrement à sa manière de voir : comment se noue l'intimité, comment se construit la confiance, comment les émotions du corps et du coeur sont indissociables... Bergman fait dire à l'un de ses personnages, dans Scènes de la vie conjugale je crois, qu'il faut "une bonne camaraderie et une solide entente sexuelle" pour qu'un couple existe et dure, et c'est exactement ça. Le bon partenaire est celui qui comble les failles de l'autre, et l'éveille ou le réveille à la vie, j'allais dire à l'envie... Mais je ne suis pas très douée pour disserter là dessus, sauf peut-être quand j'écris une lettre d'amour. Lawrence le fait beaucoup mieux que moi évidemment. Et son livre est une sorte d'initiation à l'amour, et bien sûr pas seulement à la sexualité ou à l'érotisme, comme on l'a trop souvent mis en avant, ce qui en a fait un écrivain sulfureux. C'est l'un de ses personnages qui le dit, défendre sa sexualité vous met au ban de la société, avoir une vraie liberté en la matière (et il n'est pas question ici de "libération sexuelle", Lawrence fustige les rapports froids et superficiels comme le donjuanisme) vous met au ban de la société. C'est d'ailleurs sans doute un but intéressant en soi... même si cela peut nous confiner à l'individualisme qui achève de détruire notre société. Mais si nous ne parvenons pas à l'universelle fraternité qui pourrait nous sauver collectivement, autant au moins s'en sortir personnellement, enfin, en couple !

Dans l'ensemble, les lecteurs aiment, comme on peut le lire sur Voix au chapitre, ou dans le blog Zone livre. Quelques infos sur Lawrence et Lady Chattereley dans Wikipedia.

Curieusement, ce n'est pas la version utilisée par Pascale Ferran qui reprend l'affiche du film, mais la troisième, L'amant de Lady Chatterley, donc celle que j'ai lue. Mais je mets aussi le lien vers Lady Chatterley et l'homme des bois, que je me promets bien de lire un de ces jours.

5 commentaires:

Anonyme a dit…

J'ai vu le film à sa sortie et la version télé vendredi. J'ai rendu compte de l'un et de l'autre sur mon blog. Comme d'habitude j'apprécie beaucoup la façon que tu as d'en parler. Et moi aussi ça me donne très envie d'aller lire la version 2

Hélène a dit…

Hello Valclair, je sais que tu as parlé du film, j'ai même posé un lien vers ton blog depuis l'un de mes autres blogs,"to see, or not..." , consacré au cinéma et aux arts visuels. Moins fourni que celui-ci (je préfère toujours lire qu'aller au cinéma), mais que je finis par remplir peu à peu quand même... J'aime bien lire tes commentaires de lectures et de films, tu fais partie des gens avec lesquels je me sens en affinité de jugement sur ces points... Merci n'être passé ici et de me lier depuis ton blog. @ bientôt !

Anonyme a dit…

Merci pour cet excellent billet ! Je viens de chez Valclair j'ai suivi la piste, merci à vous!
Et j'en ai dit un mot en mars dernier ! à +

SI le coeur vous en dit !

Hélène a dit…

Merci K de votre passage sur mon blog. Bon, suis pas douée sans doute, mais je ne mets pas la main sur votre billet de mars à propos de Lady Chatterley... Me baliseriez vous la piste avec un lien direct ?
@ bientôt (peut-être)

Anonyme a dit…

Avec plaisir, c'est là :
http://numberk.canalblog.com/archives/2007/03/19/4345033.html
à plus tard

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