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26.8.07

L'Ecole de la chair, de Yukio Mishima

Taéko est une jeune femme moderne des années 60. Fille de famille bourgeoise et divorcée, elle mène une vie indépendante et libre. Créatrice de mode, elle habille les femmes chics de la bonne société tokyoïte... et se pare elle-même de tenues très raffinées, que ce soit pour participer à des cocktails mondains, ou sortir avec ses deux amies, elles aussi divorcées, pour leur dîner mensuel des "Beautés Toshima", comme les a surnommées l'un des restaurateurs chez lesquelles elles dînent souvent. Elles s'y racontent sans langue de bois leurs états-d'âme, et surtout leurs aventures galantes. Taéko, lassée des étudiants de bonne famille qui jettent leur gourme ou des hommes chics en mal de distraction, va chercher le frisson un peu plus loin, et décide de séduire Sentkitchi, le beau barman du Hyacinthe, une boîte homosexuelle tenue par des travestis. L'aventure l'entraînera très au-delà de ce qu'elle avait prévu...

Comme d'habitude, Mishima sonde les âmes au scalpel. Il sait particulièrement bien mettre en évidence les sentiments contradictoires qui nous animent, et nous font parfois réagir de manière inattendue, y compris pour nous-mêmes. On perçoit aussi très bien le raffinement de la fierté japonaise, la subtilité des codes, et la force du non-dit. On admire au passage la description des corps et des tenues vestimentaires, le raffinement et le goût du détail, jusque dans le glauque et le morbide. Les scènes sont décrites avec une précision cinématographique, et on voit les personnages évoluer sous nos yeux. Comme toujours avec Mishima, on est envoûté...

Bon, en faisant mes petites recherches habituelles, je m'aperçois que le film existe, tourné par Benoît Jacquot, et présenté à Cannes en compétition, en... 1998. Bon, apparemment n'existe pas en DVD, dommage...

Comme de coutume, je suis surprise de lire aussi peu de critiques sur un auteur pourtant reconnu, et en général apprécié de ceux qui le lisent... Une bonne critique cependant sur La Lettrine, une citation dans Lost in Anywhere, ensuite il faut se perdre dans les forums pour trouver d'autres commentaires.
Sur Mishima en général, on peut aussi se référer à Wikipedia, à la page de Karila, et aux références déjà mentionnées dans mon billet sur Une soif d'amour.

11.7.05

Une soif d'amour, de Yukio Mishima

Mishima décortique l'âme humaine sans lui faire de concession, mais la lumière crue sous laquelle il place ses personnages reste néanmoins particulièrement esthétique, élégante. Et même si les comportements sont extrêmes, tout reste parfaitement plausible, cohérent. Une sorte d'hyper-réalisme littéraire, dont les images entêtent, bien après la lecture.

Le thème principal de ce roman est la jalousie, dévorante, déchiquetante, et pourtant terriblement structurante. Et c'est cela qui est troublant. Mishima dit que c'est, plus que la soif de pouvoir, la jalousie qui crée les alliances et fait marcher les humains... et sa construction est si parfaite qu'on lui emboîte le pas. La jalousie est un sentiment qui m'est étranger dans la vie de tous les jours. Pourtant, je peux facilement me glisser dans la peau de cette Etsuko, parfaitement comprendre ce qui la meut... et adhérer à ses actes, si cruels soient-ils... ou tout du moins admettre qu'elle n'a pas beaucoup d'alternative. La construction traditionnelle de la société japonaise ne lui ouvre aucune perspective de fuite, elle est obligée d'assumer son destin. Il ne lui reste plus qu'à devenir la manipulatrice de sa propre souffrance, ultime échappatoire pour ne pas subir totalement. Et tant pis si au passage elle ravage la vie de ceux qui l'entourent. Cueillir la mort, ou la donner, semble être le seul moyen d'accéder à la paix.

Mishima parle aussi des classes sociales, et de l'incommunicabilité entre elles. Saburo, le domestique dont Etsuko, la "maîtresse de maison", est amoureuse, constitue une sorte d'allégorie du naturel et du simple, une sorte de "bon sauvage" à la Rousseau. Mais les subtilités du sentiment amoureux lui sont inconnues. Et si cela lui épargne assurément des souffrances, il est en quelque sorte amputé d'une part de son humanité. Cela finira, sans qu'il puisse vraiment comprendre pourquoi, par lui coûter la vie, lui qui est dépeint comme la vie même. Etsuko est enfermée dans sa condition et dans sa fierté, poussée à l'extrême. Mais cette fierté lui donne une acuité hors du commun, lui confère une forme d'aristocratie, de distinction, et la place en marge de tous les autres personnages, faisant d'elle le maître du jeu. Les autres ne sont que pantins désarticulés. Bourgeois déchus dans la paresse... ou paysan parvenu revenant à son état premier, comme Yakichi, beau-père et amant de la veuve Etsuko. Comme nous, ils ne sont que les spectateurs fascinés des agissements de l'héroïne, impuissants à juguler en quelque manière le cours qu'elle donne aux événements...

Globalement, un bouquin puissant, qui donne à réfléchir, sans donner les clefs de l'énigme humaine...

Peu de critiques convaincantes de ce livre de Mishima, même si l'auteur est en général apprécié pour la puissance et le caractère envoûtant de ses écrits. Voici donc quelques liens pour faire plus ample connaissance avec l'auteur, et découvrir d'autres titres. Le Point nous parle d'un recueil de nouvelles, parues bien après la mort de Mishima, et que j'ai bien envie de lire : "Une matinée d'amour pur". La page perso de Xavier Plathey propose une courte biographie, et une copieuse biblio-filmo-graphie, pour tout connaître, ou presque, de l'oeuvre de Mishima. Le choix de Marion se porte sur le petit recueil "Dojoji et autres nouvelles" paru en Folio dans la collection à 2 euros, et qui ma foi constitue sûrement une bonne introduction à l'oeuvre du maître japonais. Mon Choix lui explore l'oeuvre de Mishima en tant qu'auteur homosexuel et en quelque sorte témoin de l'homosexualité.
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