17.5.15

L'Education sentimentale, de Gustave Flaubert

Je n'ai pas lu grand chose de Flaubert... peut-être parce que (sacrilège !) la Bovary m'ennuie un peu. Et je ne sais pas bien pourquoi j'ai eu envie d'écouter L'Education sentimentale, dont je ne savais quasiment rien avant de le commencer. Peut-être pour changer de Balzac dont, grâce à Litterature Audio, je connaîtrai bientôt toute la Comédie Humaine... exploit dont j'aurais été bien incapable si j'avais du dévorer toutes les pages avec mes yeux, faute de temps. Mais avec un livre dans les oreilles, on peut faire mille autre choses qui ne capturent pas toute l'attention, fussent-elles aussi triviales qu'étendre du linge ou éplucher des légumes :-)

Mais revenons à Flaubert. Balzac, si certains personnages de L'Education sentimentale s'en moquent comme d'une vieille lune dépassée, a assurément inspiré Flaubert. Il est difficile même parfois de démêler ce qui appartient à l'un ou l'autre des deux auteurs, et par moments, j'ai eu la sensation que L'Education sentimentale pouvait s'apparenter à un condensé de plusieurs opus de Balzac. On y retrouve des lieux, des mœurs et des descriptions qui sembleront bien familiers aux lecteurs assidus de Balzac, parfois même des péripéties qui apparaissent bien éculées, telle la scène du duel qui semble incontournable dans la littérature du XIXème siècle. Mais Flaubert apparaît plus tourmenté, et ce qu'il écrit ressemble plus à la recherche d'une conviction qu'à une manière de l'affirmer. C'est une oscillation entre l'aspiration au sublime, la lassitude et la désillusion.

Tout au long du roman, il est ainsi impossible de trancher vraiment sur le caractère de Frédéric Moreau. Héros ou anti-héros ? Médiocre velléitaire qui effleure les choses sans jamais vraiment s'engager, ni dans l'art, ni dans la politique, ni dans les affaires, par manque de vocation affirmée comme de courage au travail. Régulièrement lassé de tout ce qui lui avait semblé un instant porteur d'enthousiasme, il laisse tout tomber, amis, affaires, femmes, soulagé à chaque fois de se trouver débarrassé, fût-ce par des ruptures indignes ou brutales, de ceux qu'il avait cru un instant pouvoir le sauver de l'ennui, de la solitude, de l'inutilité. Et toute sa vie, il semble qu'il conservera sa position d'oisif observateur de ce qui l'entoure, sans être pour lui-même animé par l'ambition qui éclate dans tous les personnages qu'il côtoie.

La "grande affaire" de Frédéric, c'est l'amour, celle de son premier, et finalement unique amour, pour Madame Arnoux. La dame, évidemment mariée, et aussi vertueuse que belle, ne lui cède cependant pas. Et on a parfois du mal à dire si Frédéric est réellement délicat... ou seulement pusillanime. Lui même ne le sait pas très bien. Parfois, il se moque de lui-même, se reproche de n'avoir pas su oser au bon moment pour s'engouffrer dans les failles qui s'entr'ouvrent fugitivement dans l'attitude de celle qu'il désire par dessus tout. Pourtant, qu'elle soit en danger de souffrir ou de déchoir, même dans les moments où il veut décider de l'oublier tout à fait, de la faire sortir de sa vie, il se précipite pour la sauver, de manière chevaleresque, ne cherchant même pas à lui faire savoir ce qu'il a fait pour elle, à en tirer un quelconque profit pour obtenir ses faveurs.

Au final, il n'aura réussi ni à s'étourdir, ni à construire quoi que ce soit de tangible dans sa vie. La seule chose qui compte, ce sont les souvenirs des quelques moments qu'il a partagés avec cette femme, et les rêves qu'il échafaude de ce qu'aurait pu être sa vie avec elle s'il l'avait seulement connue avant qu'elle soit mariée. Pureté et vérité de l'amour ou belle naïveté ? Les expériences qu'il finit par connaître, avec la courtisane Rosanette (qui est aussi pendant longtemps la maîtresse de Monsieur Arnoux), avec Madame Dambreuse, dame riche et posée dans le monde qu'il est à deux doigts d'épouser lorsqu'elle devient subitement veuve alors qu'il la courtise assidûment depuis de nombreux mois, ou encore avec Louise, jeune fille de province amoureuse et riche que son père à elle et sa mère à lui rêvent de marier à Frédéric (et qui finira par épouser son meilleur ami Deslauriers), ne lui suggèrent pas clairement l'idée que si celle qu'il adore lui avait été accessible, il s'en serait peut-être lassé aussi. C'est cependant la question qui forcément taraude le lecteur... et à laquelle aucun auteur sans doute ne pourra jamais répondre : l'idéal peut-il sans s'affadir ou s'effondrer supporter la confrontation avec le réel du quotidien ?

Frédéric, dans un monde chamboulé qui oscille entre République et Monarchie, et où se brassent les idées qui construiront le monde moderne que nous connaissons, fait figure de chevalier du Moyen-Age portant haut l'étendard anachronique de l'amour courtois. Et si l'auteur lui-même s'interroge sans doute sur le mérite et le sublime d'une telle vie, qui apparaît autant subie que voulue par Frédéric, c'est la femme aimée qui, dans une scène finale d'une grande puissance émotionnelle, donne sa réponse.

Inoubliable, et à lire absolument, même si vous avez envie à certains moments de secouer ce héros parfois exaspérant et de le laisser à son destin sans vous y intéresser davantage.

Et merci à Monsieur Depasse pour sa lecture, qui m'a permis de découvrir cette pépite :-)
A noter :  dans cette lecture, il manque le dernier chapitre du livre (que vous pouvez aller lire ici, il est très court)... mais à mon humble avis, le roman est nettement plus puissant si on s'arrête là où cesse la lecture de Monsieur Depasse. Les considérations du dernier chapitre, pour la plupart, le lecteur peut se les faire tout seul, et reste sur une impression beaucoup plus saisissante s'il s'en tient à la dernière rencontre entre Frédéric et Madame Arnoux.

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