On a souvent une image sombre des romans de Zola. D'ailleurs, quand on dit "c'est du Zola", c'est pour exprimer le sentiment de misère noire que nous inspire une histoire ou une situation. Cependant, les épisodes de la saga des Rougon-Macquart qui se déroulent à Plassans, bourgade imaginaire de l'arrière pays Marseillais, offrent un caractère assez différent. Zola s'y révèle lyrique lorsqu'il décrit la nature et le sentiment amoureux, éblouissants sous la lumière du midi, et plus indulgent peut-être pour ses personnages, qui ne sont pas pour autant libérés des tourments humains...
L'abbé Mouret, neveu du Docteur Pascal, et rejeton de la branche illégitime des Rougon-Maquart, est depuis peu le prêtre d'un petit village proche de Plassans, les Artaud, peuplé semble-t-il des membres de la même famille qui, multipliant les unions consanguines, a donné son nom au hameau. Le jeune abbé se plaît mieux dans son église et dans son adoration de la Vierge Marie que dans la nature environnante ou dans les échanges avec les habitants, qui manifestent il est vrai assez peu de piété, et encore moins d’assiduité à l'église, même pour les mariages et les enterrements. Doux et timide, mais ferme apparemment dans sa foi, tout pétri d'innocence comme le grand enfant qu'il n'a pas cessé d'être, il semble touché par la grâce. A la lecture des premiers chapitres du livre, qui nous font pénétrer dans l'intimité de la vie d'un prêtre, de la messe quotidienne et de ses gestes rituels aux états d'âme qui animent sa prière, on s'interroge sur les événements qui pourraient bien venir troubler cette morne tranquillité.
Mais le Docteur Pascal vient un jour chercher son neveu, pour le conduire au Paradou, où le vieux Jeanbernat a eu un coup de sang, dont le médecin craint qu'il n'ait raison du vieil homme. Le jeune prêtre accepte de l'accompagner, dans l'hypothèse que le vieux mécréant, l'esprit fort du village, veuille se réconcilier avec Dieu sa dernière heure venue. Mais le vieux est sur ses pieds, moins prêt que jamais à accueillir la parole divine, sans acrimonie cependant vis à vis du prêtre, auquel il offre un coup à boire. Au moment où les deux hommes prennent congé, Albine, la jeune nièce de Jeanbernat, fait son apparition, belle comme la statue de la Vierge qui règne sur la chambre du prêtre, et à laquelle il confie chaque soir ses prières. Et la vie du jeune prêtre bascule...
Les quelques semaines que passera Serge, tombé en commotion le lendemain même de sa rencontre avec Albine, dans les jardins du Paradou où son oncle a imaginé de l'isoler du monde et de l'église pour qu'il puisse guérir, sont sous la plume de Zola une véritable transposition du jardin d'Eden et du péché originel. Amour, innocence et volupté, délicatesses infinies, troubles délicieux et communion avec la nature, que Zola décrit au passage avec, tout à la fois, une précision de naturaliste, une grande sensualité, et un lyrisme proche de l'animisme.
La félicité, on s'en doute, ne durera pas, et l'abbé sera ramené à son église par le frère Archangias, qui fait l'école aux garnements du village, et se voudrait le bras vengeur de Dieu pour faire entrer dans la piété ou dans la tombe tous les habitants du village.
Dans les luttes intérieures du prêtre contrit mais encore traversé par le désir de l'amour humain, dans ses échanges avec les différents protagonistes du roman, Zola, sans avoir l'air d'y toucher, de manière très factuelle mais très précise, met en évidence les raisons et la manière dont la religion a diabolisé la femme, avec toutes les conséquences que l'on connaît sur la place de celle-ci dans la société. Selon sa croyance personnelle, on trouvera que le roman finit bien ou mal : l'auteur se contente de narrer les faits, laissant à chacun le soin d'en faire les interprétations morales qui lui conviennent.
Zola se montre une fois de plus très fin observateur, à la fois de l'âme humaine et de la société de son temps. Une belle lecture, offerte par Romy sur Litterature audio.com.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire