24.9.09

Orange stressé, par Yvan du Roy

En lisant cet ouvrage, on pourrait se croire dans un mauvais roman de science fiction. Malheureusement, il n'en est rien : le travail d'Yvan du Roy repose sur une enquête auprès des salariés de France Télécom, de syndicalistes, de médecins et d'experts de la santé au travail.

Il montre comment la culture d'entreprise a basculé, depuis la privatisation de l'opérateur historique, vers la recherche du profit à court terme, où tous les moyens sont bons pour "cracher du cash". L'humain n'a plus aucune importance, tout se réduit à des tableaux de chiffres, à des objectifs toujours plus inatteignables avec des moyens toujours plus restreints, et jusqu'à une véritable "robotisation" des employés sur les plateaux d'appels - où l'on vient les chercher aux toilettes s'ils sont absents plus de 3 minutes de leur poste de travail. On se croirait revenu au temps des "demoiselles du téléphone"...

Le personnel est une charge, qu'il convient de réduire au minimum si l'on veut pouvoir continuer de servir de généreux dividendes aux actionnaires, et maintenir le cours de l'action sur les marchés boursiers. C'est le nouveau Graal des dirigeants d'entreprises.

Chez France Télécom, "malheureusement", on ne peut pas organiser de "plan social" si facilement. Une partie du personnel est toujours régi par le statut de fonctionnaire, et par ailleurs, l'entreprise affiche une trop bonne santé financière. Il n'en reste pas moins qu'elle a supprimé 22 000 emplois en 3 ans. Comment ? eh bien justement, entre autres via un management par le stress visant à décourager le plus grand nombre possible de salariés, qu'on amène ainsi au "départ volontaire", après une succession de fermetures de sites les obligeant à se déplacer de plus en plus loin pour rejoindre leur lieu de travail, et des reconversions forcées vers des métiers qui n'ont rien à voir avec les compétences d'origine de chacun, et souvent encore moins avec ses aspirations professionnelles. Le tout assorti d'une culture du résultat immédiat et une absence d'accompagnement dans le changement.

Vous vous demandez pourquoi tant de salariés se sont suicidés chez France Télécom ? Lisez ce livre, vous comprendrez.

Au passage, Yvan du Roy rappelle sous l'influence de quels lobbies s'est mise en place la réglementation européenne qui vise à mettre en concurrence toutes les activités de services, y compris celles qui étaient précédemment considérées comme "publics", et d'intérêt national. On y comprend clairement que tout cela n'a rien à voir avec l'efficience, et tout avec l'idéologie... dont on voit bien aujourd'hui qu'elle peut tuer, si si, même quand elle est libérale.

Au delà d'une simple chronique de l'entreprise qui a si tristement fait la une des médias ces dernières semaines, cet ouvrage met en évidence les conséquences de cette "idéologie du chiffre", sa traduction dans le quotidien des salariés, déjà à l'oeuvre dans d'autres entreprises, et qui pourrait bien demain s'étendre encore : France Télécom constitue en effet une sorte de "laboratoire" de la transformation de services publics en entreprises soumises aux règles du capitalisme financier, où on les applique sans doute avec d'autant plus de violence qu'elles y sont "nouvelles", et que les salariés ne sont pas forcément préparés à se défendre contre ces méthodes insidieuses, et absolument scandaleuses.

Florence Noiville, auteure de "J'ai fait HEC et je m'en excuse", interrogée par Marianne 2 explique très bien comment la formation des dirigeants actuels exclut totalement la prise en compte du facteur humain, et conduit donc très logiquement à ce type de dérive.

La crise financière de septembre 2008 n'a rien changé dans la régulation et le fonctionnement du capitalisme financier.
La crise des suicides chez France Télécom restera-t-elle aussi inutile ? Assistera-t-on enfin à une vraie prise de conscience, et surtout de mesures, tant chez les hauts dirigeants d'entreprises que chez les politiques ? C'est à souhaiter, et pour très vite !

Pour une fois, je ne vais pas chercher de critiques de blogueurs pour cet ouvrage. A la place, je vous laisse en compagnie de l'auteur, interviewé par Backchich :


France telecom : "orange stressé"
envoyé par bakchichinfo. - L'info video en direct.

Vous pouvez également lire un extrait de l'ouvrage sur la page d'accueil des éditions La Découverte.

2 commentaires:

JDA a dit…

bonjour
même si l'enquête est sérieuse, elle reste incomplète :
- on parle très peu des salariés qui se sont adaptés et on réussit.
- on parle très peu des consultants qui ont fait beaucoup de mal à FT
- on parle très peu du tout rendement DONT ON EST RESPONSABLE !!(ex nos fonds de pension) il n'y a pas que les Patrons.
Le stress a bon dos !! de la compassion pour les victimes certes, mais n'oublions pas les nantis de FT dans les années 70/80 où notre téléphone était le plus cher du monde, et où tout ce petit monde était chez lui à 17 H 00.....
grand bien leur fasse.

Hélène a dit…

Même si sans doute il manque des éléments dans l'enquête d'Yvan du Roy (personne ne peut prétendre à l'exhaustivité), on ne peut se contenter de "clichés" aussi réducteurs pour critiquer cet ouvrage.

Je n'ai pas d'éléments statistiques pour répondre sur la question des salariés qui ont "réussi" chez France Télécom, et j'avoue avoir du mal à cerner cette notion de "réussite" : beaucoup de cadres notamment sont aujourd'hui très mal à l'aise, et certains le sont depuis longtemps, d'être contraints à appliquer certaines règles de management, bien décrites dans ce livre mais aussi dans des études sérieuses de sociologues.

Les consultants évidemment portent une responsabilité, comme dans nombre d'entreprises, chaque fois qu'ils promeuvent de nouvelles "modes" managériales sans avoir réalisé d'analyse approfondie sur leurs conséquences.

Le "tout rendement", Yvan en parle, et plusieurs organisations syndicales de l'entreprise aussi, qui expriment clairement le fait que France Télécom est loin d'être un cas isolé, malheureusement pour les salariés, mais heureusement si cela peut permettre une prise de conscience de l'ensemble de la société. Et en effet, les fonds de pension portent une part non négligeable de responsabilité dans la mise sous pression de nombreux salariés. Ceci dit, je ne crois pas que la majorité des Français souscrive aux fonds de pension. Personnellement, je n'en possède pas, et personne autour de moi n'en possède. Les Français sont plutôt, à juste titre, des défenseurs des régimes de retraite par répartition. Les fonds de pension recrutent leurs adhérents plutôt Outre-Atlantique.

Quant aux "nantis" des années 70/80, alors nous voilà exactement dans le cliché idéologique, très bien promu aujourd'hui par nos dirigeants gouvernementaux qui pratiquent efficacement la stigmatisation de certaines catégories sociales pour mieux diviser les populations, et partant, mieux régner. C'est toujours facile de trouver l'herbe plus verte dans le jardin du voisin. Outre le fait que notre téléphone n'était pas le plus cher du monde - il était en revanche le plus moderne et performant dans les années 70/80 - rappelons aussi que le salaire des fonctionnaires, en contrepartie de leur sécurité d'emploi, était en moyenne de 20 à 25% inférieur à celui de leurs collègues du privé.

Enfin, je ne vois pas quelle honte il y a à quitter son travail à 17h quand on a démarré sa journée à 8h, voire un peu plus tôt, ce qui était généralement le cas, notamment en province. France Télécom était mon client dans ces années 80, et je connais bien l'entreprise. Je suis moi-même ce qu'on appelle une "workaholic", qui n'a jamais compté ses heures (un peu plus de 100 pour les 10 derniers jours, où j'ai même travaillé le we), et franchement, je n'ai jamais constaté de différence en terme de quantité et de qualité de travail entre les personnels de France Télécom et ceux de mes autres clients, dans des entreprises entièrement privées.

Alors, oui à la critique constructive, mais pitié, stop aux clichés qui portent en eux une jalousie mal digérée, souvent par méconnaissance de la réalité, et qui empêchent d'ouvrir des yeux solidaires, au moment où il est urgent de s'interroger sur notre société, et de réfléchir au développement durable, qui ne passe pas seulement par la préservation de la planète, mais aussi par le bien-être des humains.

Il est temps de s'apercevoir que le capitalisme est aujourd'hui déviant, et notamment chez France Télécom, quand l'entreprise distribue en dividendes plus que ses bénéfices de 2009, obérant ses capacités de développement pérennes au mépris des règles de base du capitalisme industriel. Pour en savoir plus, vous pouvez aller lire les analyses d'une association de salariés actionnaires de l'entreprise.

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