Je ne comprends pas mieux à l'issue de ma lecture, et reste étonnée que ce personnage mélancolique, souvent lâche, qui ne sait pas exactement ce qu'il veut et se laisse manipuler par les autres, quelque part convaincu qu'il n'a pas droit au bonheur mais le cherche néanmoins avec une étonnante ténacité, dont il peut annuler les effets à tout moment par une maladresse ou finalement une jalousie destructrice, soit aussi attachant.
Ka est donc un poète turc, exilé à Francfort avec un statut de réfugié politique. Il revient en Turquie, et plus précisément à Kars, petite ville perdue aux confins de l'Anatolie, à l'extrême Est du pays, près de la frontière arménienne. Officiellement, c'est pour écrire un article sur les élections municipales, qu'on dit en passe d'être gagnées par les islamistes, et le suicide de jeunes filles voilées auxquelles on interdit l'accès à l'école. En réalité, Ka veut surtout retrouver la belle Ipek, qu'il a connue étudiante, et qu'il rêve de ramener avec lui à Francfort.
Il se retrouve acteur malgré lui d'une série d'événements politiques surréalistes. Les coups d'Etat, menés par les laïcs, se déroulent au Théâtre... avec cependant des morts bien réels jusque sur la scène. L'action des militants islamistes s'emmêle d'histoires d'amour qui ressemblent à celles des feuilletons étrangers qu'ils regardent à la TV, tandis qu'ils se demandent comment convaincre que leur croyance n'a rien à voir avec la pauvreté. Et on a du mal à comprendre où se situe vraiment l'action de l'Etat, dont les fonctionnaires se font assassiner, pendant que sévissent en toute cruauté les services de la Sûreté, alimentés par les "indics" des Renseignements Généraux, à moins que ce soient d'autres personnages de l'ombre qui aient installé partout ces micros qui captent les conversations les plus intimes des protagonistes de l'histoire... Coup d'Etat ou coup de l'Etat ? A la fin du livre, je ne sais toujours pas vraiment démêler les fils...
Dans ce maelström, Ka se laisse manipuler tour à tour par les différents groupes d'intérêt, peu soucieux d'y laisser des plumes, tant que ces actions lui permettent de se rapprocher de son but : se faire aimer d'Ipek, et la convaincre de partir en Allemagne avec lui. Et c'est finalement ce fil conducteur qui crée le suspens mentionné sur la 4ème de couverture du livre, tout à fait surprenant alors que par moment l'action est d'une effrayante lenteur, qu'on ne comprends pas où elle nous mène... et que cette tourmente politique étouffée (ou favorisée ??) par la neige épaisse qui tombe sans discontinuer sur la ville de Kars n'empêche pas Ka d'être dans une veine poétique abondamment inspirée : durant les trois jours que dure le roman, il écrira pas moins de dix-neuf poèmes, de quoi constituer un livre organisé autour du schéma d'un flocon de neige dont les axes symbolisent la mémoire, la logique et le rêve, et sur lequel il continuera à travailler à son retour en Allemagne, pour peaufiner chaque texte en le soumettant à des lectures publiques.
Finalement, la seule conclusion que je peux en tirer, c'est que l'amour, et sa quête éperdue en tant qu'unique source possible de bonheur sur cette terre, quel que soit le contexte extérieur, constituent in fine le seul point commun entre tous les humains. A la fois but ultime et source d'émancipation... si toutefois il peut être pur, ce qui est moins que certain dans l'ouvrage de Pamuk, où il constitue cependant le seul viatique un peu consistant et durable.
Une lecture déconcertante donc, mais dont il est difficile de se détacher et qui laisse matière à réflexion autour de la Turquie, trait d'union entre l'Orient et l'Occident, et candidate à l'entrée dans l'Union européenne.
Je pense que je lirai Le livre noir ou Istanbul, où il parle de sa ville natale, dont la visite il y a quelques années m'avait captivée.
Les bloggeurs qui parlent de Neige le décrivent tous comme un chef d'oeuvre qu'ils sont heureux d'avoir lu et qu'ils recommandent (la bibliothécaire Sylvie, Frédéric pour Biblioblog, Pitou, ou Bibliotheca), même si la lecture n'a pas toujours été facile, comme pour Chantal sur rats de biblio.net ou une autre Sylvie.
Certains soulignent l'engagement politique de Pamuk, qui a failli le payer cher. Pour en savoir plus, voici une sélection d'articles de presse de tous horizons, pour se faire sa propre opinion : Libé, Lire, El Watan, L'Huma, et Le Figaro, relayé par le site "A ta Turquie".
Pour finir, n'oublions pas que Pamuk a reçu le Nobel de littérature en 2006. Pour entrer dans les pages qui lui sont consacrées sur le site du Prix Nobel, je vous propose la page photos, parce qu'à mes heures je suis un peu midinette, et que je le trouve plutôt bel homme :-) mais vous pouvez préférer sa très sérieuse interview filmée, in English, qui retrace son parcours personnel et d'écrivain.
7 commentaires:
J'avais lu moi aussi ce bouquin avec assez de difficulté mais je suis content de m'être accroché jusqu'au bout, je l'avais commenté en aout 2006 dans deux billets successifs celui ci http://valclair.canalblog.com/archives/2006/08/23/2526057.html
et celui là
http://valclair.canalblog.com/archives/2006/08/24/2526200.html
A distance j'en garde l'image d'un grand livre.
(et à part ça, je suis super ravi chère Hélène de te voir revenir par ici avec de riches et pertinents commentaires de bouquins.)
Bonjour Valclair,
Merci pour ton message et tes liens, c'est amusant, je partage pas mal de ta vision du livre, alors que je n'avais pas lu ton commentaire.
Et si je me remets à lire, c'est qu'une périarthrite (oui oui, ça fait aussi mal en vrai :-) limite par la force des choses les débordements professionnels (l'utilisation d'un clavier est ce qui me fait le plus mal), et m'interdit tout à fait de me livrer aux loisirs créatifs (tricot, crochet, si si :-) qui occupaient mes loisirs ces derniers temps (une autre manière de se "vider la tête" ... ou de prendre le temps de réfléchir vraiment sur la vie :-).
Donc, je replonge dans ma PAL, pour me distraire ou pour penser...
Je découvre ton blog, et je le trouve particulièrement intéressant. Je trouve un certain nombre de lectures que nous avons en commun, je repasserai, donc. Je te met en lien!
Merci pour tous ces liens qui m'éclaireront peut-être un peu plus sur cette lecture de "Neige",à bientôt.
Il fait partie de ma PAL. Je l'ai commencé mais c'est vrai qu'il faut s'accrocher et depuis je l'ai laissé de côté mais je vais y arriver. J'avais beaucoup aimé "Mon nom est rouge" mais pas facile à lire non plus.
A tout à l´heure je te mets en lien... J´aime bien Orhan Pamuk et ton commentaire de "Neige" m´a paru excellent...
Merci de l´a voir publié... Je l´ai employé dans mon blog pour faire le "post" de ce riche roman...
Avoir...
Aquileana :)
Je suis au chapitre 30. Je viens de sortir du choc du chapitre 29 où le narrateur (Orhan l'auteur?) vient de terminer la quête de tout lecteur et tuer Ka à sang froid. Anticiper les 150 pages ou plus qui restent et comme tout clore. Au centre du roman. Qu’est ce qui reste alors? Une toute nouvelle perspective de la lecture s'ouvre et malgré le premier choc qui m'a fait avaler les quelques pages et fermer le livre pour toute une journée... je sens en moi le désir de continuer ... ou plutôt de recommencer ...
*L'art narratif en tout cas m'a arrêtée plusieurs fois dès le début, comment le narrateur s'insinue progressivement dans l'histoire et comment il anticipe des événements de temps en temps sans nuire au mystère et à l'élément de surprise (la mort de Necip par exemple et maintenant tout ce chapitre digne d’étude narratologique).
*Le conflit idéologique m’éclaire sur une gauche libérale turque anti-fondamentaliste, antimilitaire que j’ignorais. J’ai toujours cru (naïvement je l’admets) à l’existence en Turquie simplement du duo laïcité- islamisme.
*J’avais déjà lu Istanbul, mémoires d'une ville, après une visite à Istanbul et en lisant Neige, j'avais décelé l’interférence entre le petit Orhan et les bribes de l'enfance de Ka dans cette ville.
Merci pour votre article. Je vous quitte et je me replonge dans le roman.
Merci Julnar pour ce commentaire sensible, qui me remet en mémoire ma lecture du roman. Décidément un grand livre, qui interpelle tous les lecteurs. Faut que je ressorte un Pamuk pour les vacances ;-)
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