17.9.06

Fortune, de Joseph Conrad

Joseph Conrad fait partie des auteurs "qu'il faut avoir lu", mais que je ne connaissais pas encore. Fortune traînait dans ma bibliothèque depuis un moment, mais je ne l'avais pas encore ouvert. Je n'ai pas eu le temps d'y mettre un marque-page.

Le roman raconte l'histoire d'une jeune femme, Flora, et de sa destinée contrariée, entre un père riche qui se retrouve condamné à sept ans de prison pour banqueroute et excroquerie alors qu'elle n'a que seize ans et plus de mère, et un capitaine de marine, Roderick Anthony, qui tombe amoureux d'elle.

J'ai pensé à Henry James, avant de découvrir que Conrad était un de ses fervents admirateurs, et à Edith Wharton. Pour moi, ces romans du tout début du XXème siècle, marquent le tournant de la pensée moderne dans l'approche psychologique des personnages. Ils cherchent à s'émanciper, sans toujours y parvenir, contrariés, timides, embarrassés dans leur rapport aux autres, souvent entravés par les conventions sociales dans un monde où les classes sont très marquées et étanches. Chez Wharton, ça se finit souvent mal. Dans ce roman de Conrad, la vérité finit par se dire, les conventions par être dépassées, la personnalité réelle des personnages par apparaître, au delà de la préservation des apparences. Les grands thèmes de la vie, et notamment de la vie amoureuse, y sont abordés. Mais avec une extrème finesse, sans que jamais il soit nécessaire à l'auteur de donner tout le détail. Une simple image suffit, ou une petite phrase "bien comme il faut", pour dévoiler la vérité de la nature humaine et la violence des sentiments qui l'agitent.

L'auteur a également un remarquable talent pour camper chaque scène : on voit les images en même temps qu'on lit, et on imagine très facilement la transposition du livre en film.

Le livre est narré par un dénommé Marlow, un marin lui aussi (c'est l'univers de Conrad et ça fait partie du plaisir de lecture), et l'un de ces hommes dont on pourrait croire qu'il n'a que ça à faire de reconstituer l'histoire de cette femme, mener son enquête, interroger les uns et les autres... Je suis toujours fascinée par cette formidable oisiveté de certains héros de romans, qui leur laisse le temps de se pencher sur la compréhension des choses de la vie, seulement pour la beauté du geste. Car ce Marlow n'a rien à y gagner personnellement. Il cherche juste à comprendre, pour satisfaire sa curiosité, et peut-être tenter de confirmer quelques unes de ses théories sur les rapports humains, et sur les femmes en particulier. Assez misogyne au demeurant, et raillé pour cela par celui à qui il raconte l'histoire.

Un grand plaisir de lecture.

S'il existe de nombreuses pages sur Conrad (Wikipedia, Romans d'aventure, Le club des rats de biblio-net), je n'ai trouvé qu'une seule critique de Fortune, élogieuse évidemment, sur Les pages culturelles d'EnkiEa. Mais ce n'est pas parce que ce n'est pas une lecture "à la mode" qu'il ne faut pas le lire, bien au contraire !!

16.9.06

La mort du roi Tsongor, de Laurent Gaudé

Ce qui étonne, c'est la brièveté du livre (218 pages en Poche) pour décrire l'épopée d'une vie, voire d'une génération, d'une civilisation. 218 pages saignantes, cinglantes, qui montrent comment par orgueil et vanité on peut réduire à néant tout à la fois l'oeuvre d'une vie, gâcher la destinée de ses enfants, anihiler l'amour entre des êtres qui ne demandaient que cela...
Le monde imaginaire créé par Laurent Gaudé s'apparente tout à la fois à l'univers des pharaons (on retrouve certaines ambiances qui évoquent les romans de Naghib Mahfouz) et celle d'une Afrique ancestrale peuplée de tribus étranges qui revêtent des atours colorés et invoquent des sortilèges pour faire la guerre...
Pourquoi cette guerre ? Parce que le vieux roi Tsongor, à la fin d'une vie passée à accumuler les territoires et les trésors en faisant justement la guerre, souhaite finir en paix, et marier sa fille, la belle Samilia, au fils du roi des terres du sel, Kouame, tout aussi beau et noble qu'elle. Mais ce que le roi Tsongor ne sait pas, et que sa fille Samilia avait oublié, c'est qu'elle s'était promise, adolescente, à Sengo Kerim, un orphelin élevé avec les enfants du roi, et parti à l'adolescence conquérir armée et territoire par ses propres moyens, comme l'avait fait le jeune Tsongor à la mort de son père. Et la veille du mariage princier, Sengo Kerim revient revendiquer ses droits sur la belle princesse...
C'est le début d'une guerre sans merci entre les deux prétendants, qui ne connaîtra de fin qu'avec la destruction des derniers protagonistes et de la ville de Massaba, tandis que Souba, le plus jeune fils du roi, fait un voyage initiatique à travers le monde pour bâtir le tombeau de son père...
Ce qui me frappe dans ce livre, ce sont les noms des lieux et des personnages, tous inventés, mais qui évoquent subtilement diverses réminiscences, la plupart du temps orientales et somptueuses. Et la cynique vision du caractère humain et de ses vanités. L'auteur veut-il nous dire au travers de cette fable sanglante que tout bien mal acquis ne profite jamais et que tout bien arraché par la violence sera aussi détruit par la violence ? Peut-être... En refermant le livre, on reste hanté par cet univers, à la fois émerveillé et dégoûté...

La mort du roi Tsongor fait partie de la sélection FNAC "10 ans de littérature en 200 livres", et a reçu le Goncourt des lycéens en 2002. Autant dire qu'il s'agit d'une oeuvre très populaire (au sens positif du terme). Les commentaires des lecteurs sur Club des rats de biblio-net sont donc sans surprise élogieux, comme sur Critiques ordinaires, le blog culturel, le blog de Pitou, ou la longue analyse de Catherine Crosnier.
Mêmes compliments sur les sites de critique littéraire, comme Panorama du Livre, Le Matricule des anges, Science Fiction magazine, froggy's delight, ou Afrik.com.
Ce qui frappe, c'est l'éventail des interprétations et des évocations du roman : sans doute la preuve que l'auteur est parvenu à illustrer en peu de pages quelques facettes particulièrement prégnantes du caractère humain et de nos destinées.
Sur L'Internaute, on peut également trouver une présentation de l'auteur.

10.9.06

La soumission librement consentie, de Robert-Vincent Joule et Jean-Léon Beauvois

C'est la rentrée : un peu de lecture "sérieuse" s'impose ! Pas d'inquiétude cependant : Beauvois et Joule sont très faciles à lire, et avec humour, ils mettent la psychologie sociale à la porté de tous. Théorie et résultats concrets de recherches-actions alternent pour nous permettre de comprendre les mécanismes de l'engagement.
Vous rêvez de modifier le comportement de vos élèves, de vos équipes, ou tout simplement de vos enfants ? Lisez ce livre, et vous accèderez à des techniques étonnament efficaces.
Il vous faudra cependant au passage laisser de côté quelques idées reçues. Par exemple, récompenses et punitions sont bien moins efficaces que le libre choix explicite. Ou encore, il importe moins de convaincre du bien fondé d'un comportement que d'y engager son auditoire au travers de quelques actes préparatoires, souvent simples, mais judicieusement choisis. Enfin, et ce peut être une idée choquante, quoique déjà exprimée dans le cadre de la psychologie sociale, l'être humain met plus facilement ses opinions (attitudes) en accord avec ses actes (comportements) que l'inverse...
En fin d'ouvrage, les auteurs répondent à la question de l'éthique. Manipulation ? Certes, c'était d'ailleurs dans le titre de leur précédent ouvrage grand public, qui connut un grand succès de librairie, et tout aussi intéressant : Petit traité de manipulation à l'usage des honnêtes gens. Ils y répondent de manière somme toute assez conventionnelle pour des scientifiques : les techniques en elles-mêmes ne sont porteuses d'aucune morale, c'est à celui qui s'en sert de s'interroger sur la noblesse des buts qu'il poursuit en les utilisant.
Personnellement, je me pose d'autres questions : ces techniques seraient-elles aussi efficaces si tout le monde les connaissait ? Et ne sont-elles pas liées à un environnement culturel précis, susceptible de changer dans le temps et selon les cultures ? En attendant, comme les lecteurs de Beauvois et Joule sont encore minoritaires dans la population, je m'en vais tester quelques uns de leurs principes pour vérifier que j'ai bien tout compris !

Peu de commentaires de lecteurs sur le net. On trouve une présentation du livre assez détaillée sur le site de Philippe Coutant, une recension sur les Cahiers Pédagogiques, et une fiche de lecture sur Radio Canada. Psychologie Sociale propose une interview de Robert-Vincent Joule. Sur un site de la Commision Européenne, on peut voir la vidéo d'une conférence de Robert-Vincent Joule, (en français, même si le titre de la conférence est donné en anglais) qui présente les principaux thèmes abordés dans le livre. On peut aussi trouver quelques analyses découlant directement des recherches de Beauvois et Joule, sur les sectes ou le tabaggisme. Enfin, deux étudiants de l'université de Bretagne Sud ont testé la théorie dans une expérimentation sur l'e-mail. Intéressant.

Coup de coeur du jury

Je m'étais inscrite aux "Perso Web" sans espérer grand chose, tant il devient banal de déposer ses notes de lectures sur un blog, et il y en a d'ailleurs de beaucoup plus fournis que le mien. Je ne fus donc pas surprise de ne pas être sélectionnée parmi les blogs soumis aux votes des lecteurs. Et voilà qu'après publication des résultats, je me découvre dans "Les coups de coeur du jury". Du coup, je suis presque aussi contente que les gagnants ! Encore plus sympa, de nouveaux lecteurs viennent me voir grâce à ce lien, et laissent des commentaires ,-) Je leur souhaite la bienvenue, j'espère qu'ils trouveront ici des idées de lecture qui leur plairont et me permettront aussi de découvrir de nouveaux ouvrages !

Bonne lecture à tous.

4.9.06

Les piliers de la terre, de Ken Follett

Contrairement à ce que laisse penser la présentation au dos de l'édition en Poche, hors le contexte global, il y a peu d'éléments véritablement historiques dans le roman de Ken Follett : je suis allée vérifier. Si Kingsbridge existe bien dans le sud de l'Angleterre, elle n'a pas de cathédrale, et les personnages principaux sont tout droit sortis de l'imagination (fertile) de l'auteur. Le contexte de guerre civile pour la succession au trône d'Henry 1er d'Angleterre, est par contre bien réel... et bien choisi pour y nouer l'intrigue, les intrigues devrait-on dire, car le livre en regorge, et l'on saute de rebondissement en rebondissement sans jamais s'ennuyer. L'histoire se déroule sur un peu plus de 50 ans, entre 1120 et 1174, dans le sud de l'Angleterre. L'un des fils conducteurs est la construction de la première cathédrale gothique sur le territoire anglais. Autour de ce grandiose projet s'affrontent les ambitions des comtes locaux, des moines et évêques, mais aussi celle des bâtisseurs, et en particulier des deux maîtres d'oeuvre successifs du bâtiment. Le lecteur se trouve tour à tour mêlé à la vie quotidienne de ces différentes classe sociales, ce qui n'est pas le moindre intérêt du livre. J'espère en l'occurence que l'auteur s'est bien documenté, mais l'ensemble est assez crédible. Les personnages sont bien campés, tous les caractères sont représentés, des plus odieux aux plus attachants, et pas trop nombreux pour qu'on puisse suivre précisément leur évolution au cours de ce demi-siècle. Jeux de pouvoir et de ruses souvent délectables, scènes de guerre et de pillage révoltantes, mais aussi bien sûr amours improbables et contrariées, tous les ingrédients sont réunis pour un roman fleuve (un peu plus de mille pages écrites bien serrées tout de même) absolument palpitant. J'ai retrouvé le plaisir de lecture que j'avais éprouvé adolescente en lisant les ouvrages de Zoé Oldenbourg, qui se situaient à peu près à la même époque, mais en pays Cathare, ou les romans de Jeanne Bourin.

Je ne connaissais pas Ken Follet, et je suis tombée sur ce bouquin un peu par hasard dans une petite librairie de Pontorson. Je ne sais pas pourquoi il y en avait aussi des piles à la librairie de l'abbaye du Mont St Michel, car s'il y est question de prouesses architecturales, on n'y parle pas du Mont St Michel pour autant. C'est St Denis qui sert de modèle à la cathédrale de Kingsbridge.
Quoiqu'il en soit, comme lecture de plage, ou pour occuper de pluvieux dimanches d'automne, je ne peux que recommander cette lecture qui m'a tenue en haleine pendant plusieurs jours : Les piliers de la terre campe un univers dont on a du mal à sortir. Même quand on lève le nez du bouquin, on continue de s'interroger sur les prochains rebondissements ou de commenter à part soi les comportements de tel ou tel personnage. Best seller, OK, je ne suis pas toujours bonne cliente... mais j'avoue que j'ai trouvé celui-là assez bien ficelé.

Les lecteurs en général adorent. Vous voulez lire une litanie de louanges ? C'est l'embarras du choix : Club des rats de biblio-net, Guide de la bonne lecture, MaBibliothèque, je vous épargne les autres, c'est lassant de lire toujours les mêmes compliments. Terminons donc par la seule qui n'a pas aimé : La bibliothèque de Ziala.
Et vous voulez un secret de Polichinelle ? Follett, pas fou, prépare une suite ! Sans doute disponible dès fin 2007 pour les anglophones, quelques temps plus tard pour ceux qui devront attendre la traduction... Sais pas si je prendrai le risque de la lire !
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