14.7.14

A la Recherche du temps perdu, de Marcel Proust

J'avais tenté de lire "A la Recherche du temps perdu" il y a presque trente ans. Je m'étais arrêtée au milieu de "Sodome et Gomorrhe", vaguement indisposée par cette exposition et ce questionnement sur l'homosexualité.

C'est grâce aux donneurs de voix de Littérature audio, Monique Vincens et Pomme que je remercie, que j'ai pu finalement aller au bout du roman, que j'ai recommencé au début, pour avoir une lecture continue et complète de l'ouvrage.

Mon rapport avec Proust est assez étrange, et unique en son genre : il me captive et m'irrite tout à la fois. Je ne suis pas entièrement sous le charme comme dans Balzac, ou entièrement captivée comme par Zola, deux autres auteurs qui à leur manière sondent l'âme humaine. Mais sa lecture est une addiction. Une fois qu'on est plongé dedans et qu'on a "accroché", on y pense tout le temps, on attend le moment de retrouver les longues phrases de l'auteur.

Souvent, je déteste le narrateur de La Recherche, son égocentrisme, sa jalousie, sa sensibilité exacerbée qui frise parfois la sensiblerie, bref son côté "enfant gâté". Je ne me retiens de le gifler mentalement en me souvenant que Proust lui même, de santé très fragile, on peut même dire "rescapé de la naissance", a été dans la vraie vie en effet un enfant gâté, protégé. Et on sait qu'une santé altérée altère aussi les sensations, les perceptions, le raisonnement, la personne malade n'ayant pas toujours l'énergie nécessaire pour mettre sa pensée en actes, ce qui forcément est frustrant et rend certaines pensées encore plus obsédantes...

Le génie de Proust n'apparaît pas instantanément, et je pense qu'on peut excuser André Gide d'avoir d'abord refusé de publier "Du côté de chez Swann" à la NRF. De mon point de vue, on ne prend conscience du génie de l’œuvre qu'à la fin du cycle... et encore reste-t-il dérangeant, obligeant le lecteur à admettre que, ce qui le "défrise", c'est de devoir reconnaître que certains traits de caractère, certains comportements qu'il trouve particulièrement déplaisants, il les partage ou les a partagés avec le narrateur.

On conçoit également le caractère novateur et probablement scandaleux de l’œuvre, qui devait révulser les bien-pensants à l'époque de la publication, et qui continue de nous titiller près d'un siècle plus tard. Car sous ses longues phrase sophistiquées, sa manière unique et subtile de rendre compte des sensations, qu'elles soient générées par l'art, un beau paysage, ou plus trivialement les bruits de la rue, sous son air de dandy comme il faut, sous sa casquette désormais de "plus grand écrivain français du XXème siècle", Proust dévoile, sinon avec indécence au moins avec une impudeur inusitée, tout ce qui est habituellement caché, voilé dans les rapports sociaux et dans la littérature avec un grand L : la sexualité, et les mobiles parfois peu glorieux qui font agir les êtres humains.

Sur la sexualité, toutes les facettes en sont explorées, les plaisirs solitaires, finement mais clairement évoqués dans le premier volume, comme les relations homo et hétérosexuelles. On y perçoit, jusqu'à presque la ressentir soi-même, toute la volupté évoquée par Proust. Il y détaille aussi, et peut-être pour la première fois dans la littérature française avec cette franchise directe, les relations entre sexe et sentiments, ainsi que les comportements auxquels nous poussent nos désirs sexuels et nos sentiments, qui peuvent être concordants ou contradictoires. La jalousie du narrateur est insupportable, mais Proust sait malgré tout s'en moquer, et son caractère obsessionnel chez le narrateur n'est sans doute qu'un prétexte pour permettre à l'auteur d'en étudier tous les aspects, eux aussi mis en relation avec les sentiments et la sexualité.

Quant à la psychologie et à l'introspection, il en est sans conteste un grand maître, décortiquant l'âme humaine jusqu'à l'exaspération, revenant en boucle sur les perceptions induites par tel ou tel événement, pour en noter les altérations au fil de l'évolution du contexte, de l'âge, des sentiments de celui qui en est l'objet.

Mais finalement, ce que je retiendrai de "La Recherche du temps perdu", pas forcément mis en avant par ceux qui l'ont analysé mais à mon sens salutaire dans ce monde où tout va trop vite, c'est qu'il faut du temps pour faire un humain, pour construire notre humanité. Apprendre à naviguer entre nos pulsions et les règles sociales pour se créer sa propre ligne de conduite, entre notre égoïsme et notre générosité pour savoir se protéger des blessures infligées par les autres, et éviter d'en infliger soi-même à autrui autant que c'est possible...

Mais je n'ai pas l'ambition de faire de l’œuvre de Proust une analyse aussi poussée que les nombreuses plumes universitaires qui s'y sont déjà attachées. Vous pouvez en retrouver une bonne partie dans l'émission de France Inter "Un été avec Proust", qui date de l'an dernier mais qui est toujours disponible en podcast, et désormais en livre. C'est tout à la fois une bonne introduction avant de lire le livre, et une bonne conclusion pour accompagner sa réflexion personnelle une fois la lecture terminée.Vous y retrouverez notamment parmi les thèmes que je n'aborde pas ici mais auxquels j'ai été sensible, une réflexion approfondie sur la langue et les niveaux de langage, ainsi bien sûr qu'une critique ironique et cruelle des cercles mondains de son époque.

Pour lire Proust, il faut du temps. Il faut accepter de ralentir et de se mettre au rythme parfois indolent de l'auteur. Sans doute une qualité pour une lecture de vacances ?

1 commentaire:

cathe a dit…

Contente de voir que tu fais partie des "proustiennes" :-) C'est un grand plaisir de lire La Recherche, surtout si on la lit à l'âge adulte, sans obligation de faire des résumés ni de l'analyser pour un prof. C'est le plaisir pur.

Je viens de m'acheter "Chercher Proust" de Michael Uras, un livre qui me parait léger et très sympathique sur Proust :-)

Bref, du crochet et Proust : le bonheur :-)

Cathe (la même que celle des châles au crochet :-D )

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