21.5.11

Anna Karénine, de Léon Tolstoî

Impossible de me souvenir quelle version filmée j'avais vue, adolescente, tirée de ce roman fleuve. Le film était centré sur l'histoire de l'héroïne, Anna, et de Wronsky. Mais le roman nous fait vivre en parallèle l'histoire de trois couples, je devrais dire trois et demi, car il faut compter avec le mari d'Anna.

Il y a donc l'histoire d'Anna, femme d'Alexis Karenine, et de sa liaison avec le comte Alexis Wronsly. Mais il y a aussi celle de Stépane Oblonsky, frère d'Anna, et de sa femme Dolly, qu'il trompe régulièrement et qui finit par s'en apercevoir, et celle de Constantin Levine, amoureux de Kitty, sœur de Dolly et courtisée par Wronsky. Tous les protagonistes ont donc des liens de famille ou de sentiments, et leurs histoires s'enchevêtrent : ceux qui aujourd'hui sont heureux tentent de réconcilier ceux qui sont brouillés, mais connaîtront demain leurs heures sombres et s'interrogeront sur les jugements qu'ils ont porté sur les actions des autres un peu plus tôt...

Je me souviens qu'en voyant le film, j'avais positivement haï Alexis Karénine, le jugeant inhumain et cruel, préoccupé seulement des convenances et des apparences extérieures, sans aucun sentiment. Tolstoî est nettement plus nuancé. Si le personnage de Karénine n'est pas le plus attachant du roman, loin s'en faut, les mille difficultés de la situation à laquelle il est confronté sont examinées en détail par l'auteur. Et on comprend mieux qu'il n'est pas forcément simple pour ce représentant d'un monde en train de disparaître, de savoir comment réagir par rapport à la passion adultère de sa femme. Le roman paraît en 1877, et la société russe est déjà en ébullition, tant sur le plan politique que sociétal. Anna y incarne la femme "moderne", qui aspire à vivre selon ses sentiments et non selon les convenances, avant de sombrer dans une passion paranoïaque qui la mènera à la folie et à la destruction. Bien sûr parce que les oukases de son mari, qui la séparera de son fils, seront pour elle très pénibles, mais aussi parce qu'il n'est pas simple de braver ouvertement les lois de la société. Bannie des riches salons qu'elle avait fréquentés, elle n'en deviendra que plus vulnérable car plus isolée, et au final d'une exigence tyrannique et insoutenable pour son amant. Les sentiments du comte Wronsky pour elle sont réels, contre toute attente de la part de celui qui apparaît au début du roman comme un militaire au mœurs quelque peu dévergondées. L'amour semble avoir sur lui un effet salvateur qui révèle la noblesse de son âme, moins volage qu'il n'y paraît, même s'il ne lui ouvre pas pour autant toutes les portes de l'âme tourmentée de sa maîtresse.

Paradoxalement, c'est cette même Anna, au début du roman, qui parvient à apaiser les sentiments de sa belle sœur Dolly, prête à quitter son mari, le sémillant Stépane Arcadiévitch qui séduit tout le monde, hommes et femmes, en s'apercevant de sa perfide tromperie avec une ancienne gouvernante de leurs enfants.

Pendant ce temps, Constantin Levine, qu'on pourrait qualifier de "gentleman farmer", se réfugie dans ses terres où il essaie en vain d'introduire de nouveaux modes de culture pour tirer meilleur profit de sa terre. Il est mortifié et meurtri que Kitty, qu'il aime depuis son adolescence, lui préfère le comte Wronsky qui la courtise, et qui serait, en particulier aux yeux de sa mère, un parti beaucoup plus brillant...mais qui échappera à la jeune fille en enlevant la belle Anna. La prédiction de Dolly, qui croit fermement que sa sœur Kitty épousera Levine, se réalisera-t-elle ? Je vous laisse le découvrir par vous-mêmes.

Ce qui est passionnant dans ce roman, c'est que Tolstoï y fouille minutieusement les états d'âme et les sensations de chaque personnage, ses doutes et ses réflexions, ses pensées et ses comportements. Quand Levine part faucher le foin avec les paysans qui travaillent pour lui, on a l'impression d'être dans sa peau. On se sent comme lui un peu inquiet de parvenir à trouver le geste, de garder la cadence du groupe des faucheurs, et on perçoit la plénitude procurée par cet intense effort physique et cette communion à la fois avec la terre, mais aussi avec les hommes qui la cultivent. On participe également à de nombreuses conversations, politiques, philosophiques ou personnelles, qui permettent de toucher du doigt les changements à l’œuvre dans la Russie de cette époque, tout comme la difficulté pour chacun de s'y positionner, et les questions métaphysiques qui sont de toute époque. La durée sur laquelle s'étend le roman permet de suivre un parcours de vie significatif pour chacun des personnages principaux, qui met à jour la complexité de chacun.

J'aurais du faire ce billet un peu plus vite après avoir achevé l'écoute de ce roman, pour mieux restituer ce qu'il m'a fait éprouver. En dépit de sa longueur (33 heures d'enregistrement, on peut saluer la prouesse du lecteur, René Depasse), il m'a captivée de bout en bout.

Si vous n'avez pas le temps ou le courage de vous plonger dans ses pages, je ne peux que vous conseiller de le télécharger sur Litterature audio.com pour l'écouter, c'est un roman à la fois attachant et magistral.

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